dimanche 12 octobre 2014

Où le mot PETIT masque GRAND, et EXCEPTIONNEL le CAILLEBOTIS

Connaissez-vous la publicité de “la petite taille des élevages” dont serait originaire le jambon de “Bayonne”? Non? Alors voyez cette annonce sur la page web “une qualité certifiée” du jambon-de-bayonne.com. L’internaute pouvait toujours y lire, notamment, en octobre 2014:

“Une filière totalement transparente à chaque étape de la production
Des conditions d’élevage exceptionnelles […]
La petite taille des élevages”

La petitesse et la grandeur étant des conceptions relatives, il s’agit de savoir ce qui peut être considéré, en France, comme PETIT ou GRAND. Voyons donc, avec les tableaux ci-dessous, ce qui est petit, moyen, ou grand.



Ainsi savait-on, en 2013, qu’une petite exploitation, en 2010, comptait de 40 à 100 truies, ou de 50 à 400 porcs à l’engrais; tandis qu’une grande exploitation comptait plus de 200 truies, ou plus de 1.500 porcs à l’engrais.

Les mots publicitaires: ÉLEVAGES de PETITE TAILLE, traduisent-ils une réalité de 40 à 100 truies, ou de 50 à 400 porcs à l’engrais? Évidemment, non. Ces mots publicitaires nous masquent des droits très supérieurs. À la Sanguinette de Causse-et-Diège, une porcherie, produisant entre autres “des porcs de qualité IGP Bayonne”, est autorisée à avoir 1.956 porcs charcutiers présents (soit 1.956 animaux-équivalents, 1.996 places d’engraissement) [1]. À la Croix de Gaujac de Colombiès, une porcherie dont la production “s’inscrit dans plusieurs démarches qualité et d’origine”, dont l’IGP “Jambon de Bayonne”, est autorisée à exploiter 3.450 animaux-équivalents, et a demandé l’autorisation d’en exploiter 4.852 [2]. À la Trougne de Saint-Symphorien, une porcherie “agréée pour l’IGP Jambon de Bayonne”, autorisée à exploiter 7.655 animaux-équivalents, a demandé l’autorisation d’en exploiter 11.602 [3]. Continue-t-on la liste, ou est-ce suffisant pour démontrer que ce sont ici une grande, là une très grande, et même là une très très grande exploitation qui, publicitairement, sont présentées comme des ÉLEVAGES de PETITE TAILLE?

Des “exploitants” ne justifient pas moins la grande taille d’ÉLEVAGES prétendus par ailleurs de PETITE TAILLE: “Ce ne sont pas les "gros" qui font disparaître les "petits", mais le contexte économique qui contraint une taille critique de l’élevage” [4]. Des “exploitants” ou quelqu’un, plutôt, leur suggérant la justification? car d’un exploitant à l’autre c’est la même justification qui revient, quasiment mot à mot: “Ce ne sont pas les élevages de grand [sic] taille qui font disparaître les "petits", mais le contexte économique et réglementaire qui contraint à une taille optimale de l’élevage” [5]. (Il est remarquable que d’un lieu à l’autre et d’une année à l’autre, la taille dite “critique” ou “optimale” augmente beaucoup: ici 2.996 animaux-équivalents, là 4.852 [6], &c.). Quel que soit l’inspirateur de ces phrases, elles ont beaucoup moins de chances d’être lues que l’annonce, semble-t-il immuable, d’ÉLEVAGES de PETITE TAILLE. Et en induisant le consommateur en erreur quant à sa connaissance de la taille de l’exploitation, le publicitaire du produit industriel contribue à créer “le contexte économique” qui “contraint” l’industriel porcin. Bref, la filière se contraint d’elle-même — car il est peu probable, n’est-ce pas? que le publicitaire agisse gratuitement à l’insu de la filière.

Quant aux conditions d’exploitation EXCEPTIONNELLES, nous dit la publicité, est-ce affirmer que cette filière TOTALEMENT TRANSPARENTE sort les porcs de l’enfermement sur de communs caillebotis? En France, en effet, ce qui est commun quoiqu’on ne le voie pas, c’est le porc de caillebotis; et ce qui est exceptionnel, c’est le porc en plein air ou sur paille [7].


Or la réalité de producteurs de porcs partiellement destinés à devenir du jambon de “Bayonne”, ce n’est pas le plein air ou la litière paillée. La réalité soi-disant exceptionnelle, c’est le commun caillebotis, une densité au mètre carré sur cela [8], soit zéro pied de porc sur terre.


Et alors?

Étrange situation, que celle d’un directeur général de l’Institut français du porc, qui met “en garde contre le standard” du jambon de “Bayonne”, avant de constater l’incapacité à “valoriser la filière bio” [9].

Étrange situation, que celle de consommateurs, de producteurs de porcs, d’hommes et de femmes d’État, qui se disent préoccupés de “bien-être” animal, cependant qu’on s’obstine à ne poser la bonne question d’étiquette, qui aboutirait à révéler les conditions d’engraissement des animaux, soit à faire reculer la part du caillebotis que l’on sait dommageable au “bien-être” animal [10].

Étrange situation, que la continuité de l’opacité, de la promotion d’un vague Made in France quand même des omnivores préféreraient trouver un Made EN PLEIN AIR ou, au moins, un Made SUR LITIÈRE.

Étrange, ou fait exprès?



Références

Nota bene. Toutes les références de cet article sont des documents publics divers, ou ayant été rendus publics dans le cadre d’enquêtes dites “publiques” quant à des installations dites “classées pour la protection de l’environnement”.

[1] Alliance Porci d’Oc, service environnement, Avenant au dossier de demande d’autorisation pour un élevage de porcs, février 2013, page 2. Et préfecture de l’Aveyron, direction de la coordination des actions et des moyens de l’État, Arrêté n° 2013073-0007 du 14 mars 2013, page 3.

[2] Lionel Tauriac, Demande d’autorisation, septembre 2013, pages 3 et 4.

[3] NCA, Études & Conseils en Agriculture et Environnement, Résumé non technique, janvier 2013, page 12 (18 en format PDF). Et Bernard Jaymes, Rapport d’enquête publique, mars 2014, page 4.

[4] Louis Bertrand, Rapport du commissaire enquêteur, octobre 2012, page 44.

[5] Lionel Tauriac, Mémoire en réponse, juin 2014, page 13.

[6] Louis Bertrand, op. cit., page 7. Et Lionel Tauriac, Demande d’autorisation, op. cit., page 3.

[7] Traçabilité, compétitivité, durabilité: trois défis pour redresser la filière viande, rapport d’information n° 784 (2012-2013) de Sylvie Goy-Chavent, fait au nom de la mission commune d’information sur la filière viande, juillet 2013, pages 97 et 98.

[8] Alliance Porci d’Oc, service environnement, Dossier de demande d’autorisation pour un élevage de porcs, décembre 2011, pages 3 et 22: “la totalité des porcs seront logés sur caillebotis”; en 2011, les “salles comprennent chacune 12 cases de 12 porcs par case”. Une case “mesure au moins 8,32” mètres carrés “utiles”. “Ainsi, chaque porc dispose au moins de 0,69” mètre carré. Lionel Tauriac, Demande d’autorisation, op. cit., page 3: “L’ensemble des animaux est et sera logé sur caillebotis”. &c.

[9] Mission commune d’information (MCI) sur la filière viande en France et en Europe: élevage, abattage et distribution, mercredi 15 mai 2013.

[10] Voyez, par exemple, les propositions pour le ministre Stéphane Le Foll, de Marion Guillou, Hervé Guyomard, Christian Huyghe, et Jean-Louis Peyraud, où il est question du “bien-être” des porcs grâce à la suppression des caillebotis: Le projet agro-écologique: vers des agricultures doublement performantes pour concilier compétitivité et respect de l’environnement, mai 2013. Ou une étude quant à “l’efficacité économique et environnementale de la production de porcs sur paille (en Bretagne)”, qui remarque la diminution, au sein de l’exploitation, de la puanteur et des émissions d’ammoniac en particulier, ainsi que la réduction de la fréquence des traitements vétérinaires: Commissariat général au développement durable, Études & documents n° 102, mai 2014.

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